Où commence votre parcours ?
De formation, je suis ingénieure. J’ai fait une école d’ingénieurs en France avec une spécialisation en informatique puis je suis allée travailler dans le conseil en informatique, ce qui ne m’a pas vraiment plu. J’ai alors décidé de reprendre des études pour poursuivre un doctorat en informatique, avec l’idée de devenir enseignante.
Comment cette trajectoire vous amène-t-elle au conseil pédagogique ?
C’était un parcours indirect! Cette expérience du conseil m’a un peu mis une claque et m’a poussée à me rendre compte que ce n’était pas ce que je voulais faire. C’est là que je suis revenue à cette idée de devenir enseignante. J’ai effectué une thèse de doctorat afin de devenir enseignante-chercheuse, j’ai ensuite enseigné l’informatique pendant six ans et j’ai adoré !
Mais plus ça allait, plus j’enseignais, moins je faisais de recherche. Je voulais passer plus de temps à enseigner et tant qu’à faire, je voulais faire de la recherche sur l’enseignement. Je me suis donc lancée et peu après l’EPFL publiait une annonce pour un poste au CAPE. J’ai commencé à travailler sur des projets notamment avec Roland Tormey avec qui nous avons conçu le livre et le MOOC « Apprendre à étudier ».
Puis c’est via un projet porté par swissuniversities pour le développement des compétences computationnelles des étudiant-es que j’ai rejoint l’équipe du CEDE.
Quels sont les projets qui ont marqué votre période au CAPE ?
Lorsque l’on a 2’400 étudiant-es qui arrivent, comment peut-on les aider à réussir en première année ?
Ce sont deux projets pour des populations assez différentes. « Apprendre à étudier » est prévu pour les étudiant-es de première année et vise la transition secondaire-université. Lorsque l’on a 2’400 étudiant-es qui arrivent, comment peut-on les aider à réussir en première année ? À partir d’une réflexion avec le professeur Ansermet de la section de physique, nous avons travaillé en étroite collaboration et avons développé des ressources et des activités autour de la méthode de résolution de problèmes. Puis nous avons étendu et développé cette approche jusqu’à ce que le passage à l’échelle finisse par constituer le défi suivant. Nous avons d’abord proposé aux PPUR de publier ces ressources sous la forme d’un livre.
Mais comment faire connaître ces supports aux 2’400 étudiant-es arrivant chaque année ? Nous avons d’abord fait des séances d’accueil avec des groupes de 700. Puis le développement du MOOC a naturellement découlé de cette problématique en permettant à plus d’étudiant-es d’y avoir accès et d’avoir les ressources pour apprendre de manière autonome.
Pour la population des doctorant-es, nous avons d’abord développé de nombreux ateliers sur les compétences d’enseignement, avec une approche basée sur la littérature des sciences de l’apprentissage et déclinée en activités hands-on. Puis nous avons commencé à proposer des cours pour l’école doctorale. Par exemple, dans le cours “Lecturing and Presenting in Engineering” conçu par ma collègue Siara Isaac, nous faisions donner aux doctorant-es un cours au moins deux fois par jour pendant cinq jours, avec des feedbacks. Des petits cours de cinq à quinze minutes, donc une approche vraiment basée sur une pratique intensive.
Nous avons collecté des données pour savoir comment les étudiant-es percevaient cela, s’ils et elles pensaient développer leurs compétences, et nous avons commencé à publier des articles sur notre approche.
C’est aussi à ce moment-là que nous avons travaillé sur l’approche de la classe inversée avec Simone Deparis. Il n’était pas le premier à l’EPFL à la pratiquer mais c’était la première fois que cela était appliqué à une classe de première année avec de gros enjeux de réussite, et la première fois que nous pouvions mettre en place une étude translationnelle pour en mesurer les effets.
Cela nous amène à votre transition vers le CEDE. Vous y avez notamment développé le projet des Jupyter Notebooks et vous vous êtes penchée sur les notions d’éthique du numérique. Pouvez-vous nous en dire plus ?
L’idée du projet « Jupyter Notebook » s’inscrit dans la décision de développer la pensée computationnelle de nos étudiant-es. Un concept qui pour nous est vraiment embarqué dans les disciplines.
La grande question était de savoir comment intégrer cela dans des cours de science et génie des matériaux ou dans des cours de conception mécanique, par exemple. C’est pour ça que nous avons choisi les Notebook Jupyter. C’est une technologie provenant de la Science Ouverte qui a été développée par les chercheurs et les chercheuses pour documenter la recherche de façon reproductible. Ce sont des documents dans lesquels il y a des textes qui expliquent ce que le chercheur ou la chercheuse a fait et il y a du code qui montre les résultats, soit par des simulations, soit par des traitements de données.
Il y avait donc du potentiel dans un tel outil pour l’éducation et nous avons réfléchi à comment le déployer. Au niveau technique, nous avons mis en place un serveur, JupyterLab, permettant d’exécuter les notebooks et ce système centralisé permettait d’éviter de devoir installer Jupyter sur les ordinateurs des étudiant-es.
À partir de ce service-là, la question était de trouver quelles étaient les bonnes pratiques pédagogiques et comment éviter de tomber dans les pièges de la charge cognitive, par exemple. Parce que le problème de la pensée computationnelle déclinée dans les disciplines, est que les étudiant-es doivent apprendre leur discipline tout en apprenant le numérique appliqué à cette discipline.
L’avantage de ces notebooks est que l’on peut directement intégrer les explications et le code au même endroit. Nous avons donc travaillé avec les profs sur les différentes manières de les utiliser, nous avons documenté les meilleures pratiques et nous avons réalisé des études pour vérifier leur efficacité. Nous avons identifié cinq scénarios qui permettent d’utiliser les notebooks Jupyter dans l’éducation.
Actuellement, sur quoi travaillez-vous ?
Ce qui m’occupe le plus en ce moment c’est le projet P8 de swissuniversities sur l’éthique numérique. Tous ces étudiant-es qui développent leurs compétences numériques ne reçoivent pas nécessairement de formation à l’éthique. Alors comment les forme-t-on aux problématiques éthiques que les outils numériques peuvent générer ?
Nous avons développé une approche par le jeu que nous avons déployée dans plusieurs cours de Machine Learning afin de sensibiliser les étudiant-es aux problématiques de biais dans ce domaine. Le jeu est aujourd’hui disponible publiquement et gratuitement en ligne, et peut être librement utilisé comme introduction aux questions d’équité dans les algorithmes.
Je suis fière de cette intégration de l’éthique parce que cela touche beaucoup d’étudiant-es et cela se passe dans un contexte authentique car des projets, ils vont en faire beaucoup.
Nous avons développé un deuxième outil en collaboration avec l’université de Neuchâtel, notamment avec Adrian Holzer qui est spécialiste des canevas (des feuilles servant de support visuel pour une méthodologie de réflexion). Il s’agit d’un canevas d’éthique numérique que les étudiant-es peuvent utiliser pendant qu’ils et elles utilisent ou conçoivent un outil numérique pour en évaluer les risques éthiques.
Pendant le semestre d’automne nous l’avons déployé dans le cours de Machine Learning de Martin Jaggi et Nicolas Flammarion. Dans le cadre du projet associé au cours, les étudiant-es ont eu l’obligation d’évaluer les risques éthiques de ce qu’ils et elles développaient et ont été évalués sur cela. Je suis fière de cette intégration progressive de l’éthique parce que cela touche beaucoup d’étudiant-es et cela se passe dans un contexte authentique car des projets, ils vont en faire beaucoup.
Et il y a un retour à l’enseignement prévu pour septembre…
Dans le cadre des efforts de l’EPFL pour introduire plus de durabilité dans les cours, l’équipe durabilité pilote un projet qui repose sur trois piliers : un nouveau cours de première année, des cours dédiés à la durabilité au niveau bachelor et master, et l’intégration des concepts liés à la durabilité dans les cours existants.
Dans ce contexte, j’ai proposé un cours de bachelor qui s’intitule « Responsible Software » à la section IC. Je me trouve dans la phase de conception et développement de toutes les ressources, avec une équipe de quatre étudiantes et étudiants et un ingénieur pédagogique. Le cours sera donné sur le campus en classe inversée. Tout sera disponible en ligne comme le projet est financé par swissuniversities, le but est que tout le monde puisse en profiter. Je me réjouis de retourner en auditoire avec les étudiantes et étudiants d’informatique, cela m’a manqué et c’est un peu comme un retour aux sources !