«Nous devons restaurer le sentiment de communauté»

Comme de nombreux professeurs, Hilal Lashuel a longtemps été pris dans le tourbillon de la vie académique, jonglant entre l’enseignement, la recherche et son financement, les publications, ou encore le mentoring des étudiantes et étudiants, ainsi que des membres de son équipe. Une vie professionnelle foisonnante et enrichissante, mais jalonnée de nombreux défis, et demandant au fil des ans des sacrifices, notamment mettre de côté sa santé mentale et son bien-être.

« L’excitation, le stress, l’anxiété, la peur, le syndrome de l’imposteur font partie du quotidien d’un professeur d’université, mais notre passion pour la science et la recherche, ainsi que l’amour de notre métier nous aveugle et laisse peu de place à la réflexion sur notre santé et notre bien-être. De plus, l’hyper compétitivité qui règne dans le milieu académique, le besoin de reconnaissance des pairs et la peur de l’échec nous empêche de parler ouvertement des défis et des problèmes liés à la santé mentale.»

Cependant, après deux attaques cardiaques en trois ans, le responsable du laboratoire de neurobiologie moléculaire et neuroprotéomique, également à la tête d’une startup, a sérieusement commencé à s’interroger sur son bien-être et à revoir ses priorités personnelles et professionnelles. Il s’est alors intéressé aux problématiques liées à la santé mentale, a beaucoup lu, appris et a plusieurs fois empoigné la plume pour partager son expérience et encourager une approche plus holistique de la santé mentale dans le milieu académique. Aujourd’hui, il s’implique pour que dans les universités, les questions relatives à la santé mentale deviennent une priorité stratégique. Ceci car il pense qu’il est dans l’intérêt de ces institutions et de la société de ne pas laisser les membres de la communauté académique souffrir en silence.

Dans l’écrasante majorité des cas, lorsque l’on parle de santé mentale dans le milieu académique, on se concentre sur les étudiantes et étudiants. Mais il faut aussi aider celles et ceux qui aident ces derniers, le personnel des facultés et de l’administration, nous sommes toutes et tous interconnectés et interdépendants.

Qu’est-ce qui vous a incité à mettre en place une série de webinaires publics sur la santé mentale dans le milieu académique ?

C’est le résultat d’un brainstorming avec l’une de mes doctorantes, Galina Limorenko, qui réalise notamment des podcasts dans lesquels elle interviewe des autrices et auteurs sur différents sujets en lien avec la science et la société. Les principaux objectifs de ces webinaires sont de briser le tabou sur la question de la santé mentale, d’aider à normaliser la conversation sur ce sujet, d’augmenter la prise de conscience.

Notre but ultime est de créer un espace dans lequel les gens peuvent parler librement de santé mentale, partager leurs expériences, leurs mécanismes d’adaptation, et travailler collectivement pour trouver des idées créatives afin d’améliorer l’environnement de travail et la culture dans notre institution et dans le monde académique.

Qu’est-ce qui est normal ? Comment cultiver son bien-être, pourquoi repenser sa routine quotidienne ? Autant de questions qui ont été ou seront abordées. Les intervenantes et intervenants proviennent de différents milieux et l’approche se veut holistique, car nous sommes toutes et tous dans le même bateau. La santé mentale doit être abordée en tant que communauté et la première étape pour atteindre cet objectif est de restaurer le sentiment de communauté.

Dans l’écrasante majorité des cas, lorsque l’on parle de santé mentale dans le milieu académique, on se concentre sur les étudiantes et étudiants. Mais il faut aussi aider celles et ceux qui aident ces derniers, le personnel des facultés et de l’administration. Nous devons prendre soin les unes et les uns des autres, un pour tous, tous pour un. Ce n’est pas parce qu’un problème ne se voit pas, qu’il n’existe pas. Soignons notre santé mentale comme notre santé physique.

Pouvez-vous nous parler de votre expérience personnelle, qu’est-ce qui a changé après votre prise de conscience ?

Il y a deux choses précieuses, le temps avec les personnes qui comptent pour nous et la santé (mentale et physique). A un certain moment j’ai commencé à me demander : ‘est-ce que cela vaut la peine de remplir mes journées avec les attentes des autres ?’. Dans le milieu académique, dire que l’on se sent stressé, sous pression, que mentalement on n’y arrive plus, est encore perçu comme une faiblesse. Lorsque j’ai partagé mon expérience, plusieurs personnes m’ont contacté pour confier qu’elles vivaient la même chose. C’est pourquoi il est important de discuter ouvertement de ces questions.

Désormais, j’essaye d’avoir une meilleure balance entre vie professionnelle et vie privée, de ne pas travailler les week-ends, de faire moins mais mieux, de me rendre disponible et à l’écoute des autres. Je partage aussi mes sentiments et je parle de mes difficultés, par exemple lorsque des demandes de bourse sont rejetées. Je cours aussi régulièrement et je ne manque jamais une bonne occasion de passer du temps en famille et de me reconnecter à la nature. L’une des réalisations personnelles dont je suis le plus fier en 2021 est d’avoir terminé la course de 10 km lors des 20 km de Lausanne.

Il y a deux choses précieuses, le temps avec les personnes qui comptent pour nous et la santé (mentale et physique). A un certain moment j’ai commencé à me demander : ‘est-ce que cela vaut la peine de remplir mes journées avec les attentes des autres ?’

Pour quelles raisons la santé mentale se révèle une question clé dans le milieu académique ?

Plusieurs études ont montré que l’absence de prise en compte des problèmes de santé mentale tels que le stress, l’anxiété et la dépression a un impact négatif sur les expériences d’apprentissage et les performances des étudiantes et étudiants. Les universités constituent des environnements très compétitifs, dans lesquels on doit gérer de nombreuses choses en même temps. Il y a une culture du perfectionnisme, l’échec n’est pas perçu comme une expérience constructive, mais comme une faiblesse.

La pandémie de Covid 19 a mis en avant l’importance de la santé mentale, et l’urgence d’agir. Faire face à des challenges, c’est sain jusqu’à un certain point. La seule manière de découvrir ses capacités, c’est de se dépasser, mais il faut prendre soin de soi.

Selon vous, quels sont les signaux qui doivent alerter ?

Nous faisons toutes et tous face à des hauts et des bas, c’est normal. Certains types de stress nous aident même à être performants. Mais il est important de savoir où l’on se trouve sur le continuum de la santé mentale, et de chercher du soutien et de l’aide si on sent que l’on va entrer dans la zone rouge. Si votre santé physique est impactée, par exemple votre sommeil, si vos interactions avec les autres sont perturbées, si vous vous isolez et n’êtes plus capable de prendre soin de vous, les choses deviennent sérieuses.

Il est alors important de demander de l’aide. N’ayez pas peur de vous confier à une personne de confiance, cherchez les ressources à disposition et fixez un rendez-vous avec un professionnel·le. La bonne nouvelle est que la plupart des personnes qui demandent de l’aide vont mieux. Il existe des techniques et des traitements efficaces pour aider les gens à faire face aux problèmes de santé mentale et à devenir plus résilients. Mais il faut faire le premier pas et chercher du soutien. Faites-le pour vous.

Nous avons également la responsabilité d’être là pour les personnes qui luttent contre des problèmes de santé mentale. Malheureusement, nous ne recevons pas la formation nécessaire pour reconnaître les personnes qui souffrent ou pour les soutenir. Malgré ceci, nous pouvons tout de même aider en nous formant, en étant prêt à écouter sans porter de jugement, en les orientant vers les bonnes ressources et en les soutenant.

Nous sous-estimons le pouvoir des mots. Lors d’une remise de diplôme, la mère d’un étudiant est venue vers moi pour me remercier d’avoir « sauvé la vie à son fils ». Je n’avais rien fait de spécial, j’avais juste annoté sa copie avec des commentaires très positifs qui l’encourageaient à poursuivre son excellent travail. Après avoir échoué la première année, cet étudiant avait vraiment besoin de lire ça et apparemment mes commentaires et mes interactions avec lui ont eu un grand impact. Cela m’a fait prendre conscience du poids des mots aussi bien dans le sens positif que négatif.

Comment les universités peuvent-elles agir pour créer un environnement plus sain ?

Les universités, par l’intermédiaire de leur direction, devraient d’abord reconnaître publiquement que la santé mentale et le bien-être des étudiants, du corps professoral, des collaboratrices et collaborateurs, constituent une priorité stratégique. Cette déclaration devrait se traduire en une stratégie institutionnelle qui donne la priorité à la santé mentale et au bien-être dans tous les aspects de la vie universitaire.

Pour établir celle-ci et prendre les bonnes décisions, il faut d’abord sonder la communauté, identifier la culture de l’institution, les facteurs qui agissent sur la santé mentale, les aspects qui posent problème. Ensuite, les universités doivent à mon sens fournir aux étudiantes et étudiants et à leur personnel des formations sur la gestion du stress et le bien-être, et sur la manière de détecter et soutenir les personnes qui souffrent de problèmes liés à la santé mentale. Elles doivent aussi mettre en place des programmes de soutien adaptés. pour gérer leur propre santé mentale. Il s’agit de créer un environnement sûr, dans lequel on ne laisse pas les personnes seules face à leur souffrance et où tout le monde est à l’aise pour parler de santé mentale sans jugement.

Je suis très heureux qu’à l’EPFL la Vice-présidence associée pour les affaires estudiantines et l’outreach empoigne cette cause avec la création d’une Task force pour étudier la question de la santé mentale dans notre école et proposer des mesures concrètes et proactives pour créer une culture où chacune et chacun peut apprendre, réussir et s’épanouir sans compromettre sa santé et son bien-être. Une université plus saine nous permettra d’accomplir encore mieux notre mission (ndlr: les objectifs de la Task force seront publiquement communiqués dans le courant du semestre de printemps).

Author(s): Laureline Duvillard
Importé depuis EPFL Actu