«J’essaie de m’adresser à l’étudiant moyen, donc à moi-même»

Il y a celles et ceux qui naissent avec une bosse des maths tellement grosse qu’elle dépasse de leur grenouillère. Et il y a les autres. Les «matheux normaux», voire les «matheux normaux lents», comme s’autodéfinit Sacha Friedli. «A l’école obligatoire, les maths, c’était mon cauchemar», avoue bien volontiers ce chargé de cours à la section de mathématiques de l’EPFL. Reste que du jour au lendemain, ou presque, l’adolescent d’alors est passé «du dernier en maths de la classe au premier».

Sacha Friedli s’en souvient comme si c’était hier. «J’étais en première année de gymnase à Nyon.» Quelques semaines après la rentrée scolaire, «un nouvel élève, qui venait de Suisse alémanique, a intégré notre classe». Le nouveau était «hyper fort» aussi bien en langues qu’en sciences. «Nous prenions le même bus pour rentrer et un soir, je lui ai demandé de m’aider pour un exercice portant sur la notion de continuité en analyse.» Son camarade a réussi l’exploit de lui faire comprendre cette notion essentielle. «Ce moment a changé ma vie; je sais encore exactement à quel endroit le bus se trouvait!»

«Comme moi à l’époque»

Aussi impressionnant et inattendu ce renversement de vapeur fût-il, «je ne me suis pas transformé pour autant en génie des mathématiques», avertit le chargé de cours. «Tout au long de mon parcours académique, j’ai conservé mon côté ‘normal’.» Une «normalité» qui ne l’a pas empêché d’être désigné en 2022 meilleur enseignant de la section de mathématiques. Bien au contraire. «Dans mes cours, j’essaie de m’adresser à l’étudiant moyen, donc à moi-même!» (Rires) «C’est peut-être justement ce qui fait de moi un enseignant apprécié.»

Sacha Friedli enseigne l’analyse et l’algèbre linéaire aux étudiantes et étudiants de première année, soit «des centaines de personnes.» Parmi elles figurent «une minorité qui peut se débrouiller seule et, à l’autre bout de l’échelle, une autre minorité qui décroche immédiatement». Quant à «la grosse masse là au milieu, il s’agit de gens comme moi à l’époque». Le chargé de cours n’hésite pas à préciser: «Moyennant un peu d’aide et de motivation, ils ont tous le potentiel de passer avec une bonne note.»

Une patience à toute épreuve

Son goût pour l’enseignement, Sacha Friedli estime qu’il s’est développé «de façon assez naturelle et progressive» au fil de son parcours académique. «Ici à l’EPFL, j’ai eu la chance d’avoir un excellent directeur de thèse en la personne de Charles Pfister, qui m’a encouragé à formuler des idées abstraites de la façon la plus simple et la plus claire possible.» Plus tard, son expérience post-doctorale à l’Instituto Nacional de Matemática Pura e Aplicada de Rio de Janeiro a confirmé «l’importance d’avoir ma propre compréhension des idées des autres, de me les approprier». Autant de compétences qu’il a pu mettre à profit lorsqu’il a rejoint en tant que professeur l’Universidade Federal de Minas Gerais.

Après plus d’une décennie passée au Brésil – «pour un mélange de raisons privées et académiques, mon séjour d’un an a fini par en durer douze» -, Sacha Friedli est revenu en 2016 à l’EPFL, cette fois en tant que collaborateur scientifique et enseignant. Mais quel genre d’enseignant, au juste? «Le fait d’avoir moi-même eu pas mal de difficultés lors de mes études – j’ai notamment redoublé ma première année universitaire – a une influence certaine sur mes cours.» Il précise: «Je suis quelqu’un de patient et n’arrête pas de répéter à mes étudiants que je me tiens à leur entière disposition en cas de questions; ils devraient d’ailleurs en profiter davantage!» (Rires) Dans le même ordre d’idée, le mathématicien accorde une grande importance au contact direct avec ses élèves. «Je suis convaincu que c’est possible même lorsqu’on en a plus de 600.»

Images, animations et blabla

Malgré sa passion pour les maths, Sacha Friedli en est conscient: parfois, sa discipline peut paraître sèche, voire rébarbative. «J’essaie souvent d’expliquer les idées avec des images, des animations et pas mal de ‘blabla’, avant de les formaliser avec des symboles mathématiques», rapporte-t-il. Encouragé par les retours positifs des étudiants sur son utilisation des animations par ordinateur, le chargé de cours en ajoute autant que possible à son matériel didactique, disponible en ligne. «Je m’éclate dans ce projet!», s’enthousiasme-t-il. On en vient à se demander qui, de Sacha Friedli ou de ses étudiants, a le plus de plaisir à venir en cours. L’équation n’est pas encore résolue.

Author(s): Patricia Michaud
Importé depuis EPFL Actu
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